Jean-Claude Bélégou : séries récentesLES CHAMBRES 2014/2015
Il n'y a pas deux histoires des images, si l'on entend par là des représentations en deux dimensions, il n'y a pas d'un côté l'histoire de la peinture et de l'autre celle de la photographie, pas plus qu'il n'y a eu d'une part celle de la fresque et d'autre part celle du tableau. Chaque technique singulière d'image inclut seulement ses spécificités historiques liées à l'histoire des techniques comme à celle des idéologies.
Il y a seulement d'un côté les oeuvres d'art et de l'autre les documents. D'un côté le dessin industriel ou la lettre au percepteur, de l'autre le dessin d'art ou la littérature.
On n'explique pas une œuvre d'art, on ne la lit pas, on la contemple et on l'interprète, elle est inépuisable, elle demeure toujours une énigme.
Ma série Les Chambres est une série débutée en 2014, on y trouvera de nombreuses références picturales, mais une esthétique purement photographique, c'est là-dessus que je jongle depuis quinze ans…
Jean-Claude Bélégou : Berceaux
Les mises en scène du corps féminin dans les photographies de Jean-Claude Bélégou sont l'aboutissement autant d'une pensée que d'un sentiment. Le créateur se confronte au nu ou au déshabillé en tant que langage de sublimation. Les effets de lumière sculptent le corps pour en saisir l'arc-en-ciel dont le sommet est toujours plus haut que l'orage – toujours remisé au rencart : hors champ, hors propos. Jamais le photographe ne se laisse cerner par le pur effet de fantasme : l'artiste le décale selon divers angles sans pour autant tomber dans des spéculations spécieuses ou de prétentieuses élucubrations où s'enchevêtreraient de laiteuses mystiques. La femme reste elle-même plutôt que chantournée en idole évanescente.
Refusant un côté esthétisant, maniériste, le photographe donne de manière fractale la force d'un mystère du féminin. L'artiste tient la femme pour sujet poétique premier, mais cette poésie est terrestre, dégagée d'effet d'âme. Son merveilleux est de tous les jours. La femme n'est plus un bateau ivre larguant ses amarres. Le photographe se « contente » de répondre aux injonctions implicites de ses égéries et modèles : « J'aimerai qu'on m'apprenne à me servir de moi-même, jusque là on m'a appris des choses qui ne correspondaient à rien en moi. Je voudrais sentir une inexorable rupture ».
Afin de les satisfaire l'artiste ne les transforme en miroirs d'un gouffre figural créateur de fantasmes au sein d'interstices d'effraction. Subsiste seulement un abandon direct ; le corps gagne en charme car il s'éloigne des effets. La femme ne possède plus rien qu'elle : elle a ce qu'elle est et trouve sa poésie dans l'abandon le plus simple. Chaque tirage semble insensible au passage du temps même si l'artiste saisi les modèles dans le cours des saisons. Loin de l'indifférence artificiel des statues vivantes elles plongent le regardeur dans la région où la pensée n'est que panier percé. Des noyaux d'ombre sont conjugués. Ils sont parfois sur le point de faire poindre le plus délicieux des « dangers ». Perdurent des pliures d'ombre, un chemin frayé par degrés – parfois jusqu'au pubis.
Le corps « s'écrit » en ailes. Les jambes sont des routes, les dos des collines inspirées. Le désir n'est pas loin mais n'est pas forcément convoqué. Dans d'autres prises les jupes sont abandonnées. Une bretelle s'est vite décrochée. Mais l'attente ne peut qu'attendre même si la vision est tactile. Il reste des seuils à franchir. Aux assauts d'homme et go more, aux grands mots d'amour Jean-Claude Bélégou ne proposent pas de grands remèdes. En cet enfer nouveau Dante erre au paradis. L'artiste s'en délecte. Mais reste sur sa réserve. Demeure un trouble diffus.
Jean-Paul Gavard-Perret