<

 

 

www.belegou. org //

 

Jean-Claude Bélégou Vivre encore :FAUX-SEMBLANTS 2018/2023

 

Voir la série

« Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. » J.-P. Sartre, L'Etre et le Néant, Paris, Gallimard, 1976, coll. Tel, pp. 95-96.
Ainsi en est-il de nos petits théâtres de la vie quotidienne dans laquelle nous tenons nos rôles qui nous tiennent et tenons à eux, le jeune professeur épouse la peau du professeur, et le mari la peau de l’époux.…En quête d’auteurs.

Toute image est ainsi un double simulacre, d’un côté parce qu’il n’y a aucune réalité dans ce que nous apparaissons, de l’autre, au sens où l’entendait Platon parce qu’elle n’est que l’imitation d’apparences extérieures, ne requiert aucun véritable savoir de ce que nous représentons et n’est aucunement utile du point de vue de l’agir (d’où les vaines prétentions de la photographie dite à tort « documentaire »). Quant à la photographie nous en sommes réduits à l’empreinte, la trace, de quelques rayons lumineux… Ne sommes-nous pas par excellence dans le domaine de l’art et de l’illusion? Du rêve, du trompe-l’oeil, de l’impression de réalité que confère l’image photographique, ou a fortiori cinématographique, capable de nous faire oublier le cadre, le bout de papier ou l’écran.

La question de la distance au réel m’a toujours préoccupé. Le manifeste Noir Limite en 1985 le proclamait « Ce qui est douloureux dans la proximité c’est la distance qui demeure ». Et photographiquement parlant celle de la distance au motif ou au modèle. C’est ainsi que dans mes paysages j’ai à maintes reprises pratiqué l’immersion : photographier la mer ou un lac en nageant au milieu des flots ou la neige en courant dedans, autant faire se peut, me restent des expériences mémorables. Quant au rapport aux modèles, ma série Noir Limite/Corps à Corps en 1987 dans laquelle je photographiais dans un miroir ma main sur le corps du modèle, demeure pour moi une expérience de transgression des académismes et d’exploration d’un point de vue résolument subjectif. Mettre la sensation à la place, ou au coeur, de la vision plutôt que s’abandonner à l’extériorité du visuel. Plus tard une série telle Artiste & Modèle(s) en 2004 ou Destins en 2008-2010 étaient un pas de plus dans cette recherche.

Faux-semblants donc. Feintes de l’amour auxquelles les modèles se prêtent avec un certain bonheur. Est-ce pure théâtralité de leur part? Ou « priez et vous croirez » (Pascal)  est-il suffisant à faire jaillir l’émotion recherchée? L’amour, avec ses toujours, avec ses jamais, ne renferme t-il pas une grande part d’affectation et de simulation?

Tirages jet d'encre pigmentaire 60 x 60 cm réalisés par l'artiste d'après clichés numériques.